Périscope
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Ce que la science doit à la magie

Et si c’était la pensée magique qui, à la Renaissance, avait favorisé le développement de la science moderne ?


Bruegel l'Ancien, L'alchimiste
« Il revient au lecteur de décider comment aborder près de 600 pages d’extraits de discours religieux, de traités scientifiques, de démonologie et d’œuvres littéraires choisis et traduits de façon experte par Brian Copenhaver, un éminent spécialiste de la magie savante, également professeur de philosophie et d’histoire à l’université de Californie », constate dans le Spectator un critique à qui la tâche a manifestement semblé ardue. Owen Davies (le critique en question) est pourtant lui aussi historien, qui plus est spécialiste de la sorcellerie. Mais on comprend sa perplexité devant l’entreprise de Copenhaver, qui vise à retracer, dans une même anthologie, trois mille ans de magie « savante ». Et à lui redonner sa juste place dans l’histoire des idées. Le journaliste Philip Ball, lui, n’a eu aucun mal à s’orienter dans « Le livre de la magie ». Son intérêt pour l’histoire des sciences l’a naturellement porté vers les passages consacrés à l’interdépendance de la pensée magique et de l’esprit scientifique à la Renaissance. « Le rôle joué par la tradition magique dans l’émergence de la science est complexe, mais présenter l’une comme l’antithèse de l’autre est trompeur », affirme Philipp Ball dans le mensuel Prospect. Pour Brian Copenhaver, la vision moderne du monde plonge en partie ses racines dans l’hermétisme, une doctrine ésotérique dont on trouve trace au Moyen Âge chez des auteurs comme le théologien saint Albert le Grand (env. 1200-1280). On voit alors poindre l’intuition que « la nature grouille de forces et de pouvoirs cachés potentiellement imitables, améliorables et exploitables au bénéfice de l’homme », écrit Ball en citant l’historien américain William Eamon. Mais c’est à la Renaissance que l’idée de « magie naturelle » va s’épanouir. Une évolution que nous devons « pour l’essentiel à Marsile Ficin, l’éblouissant érudit italien [du XVe siècle] et à son protégé Pic de La Mirandole ». Tous deux, dit Ball, « se sont emparés des écrits des interprètes de Platon à l’Antiquité tardive pour donner naissance à un néoplatonisme christianisé, défendant la magie comme une activité intellectuellement respectable et valable sur le plan de la doctrine ». Ficin invoque les influences astrales et préconise l’utilisation de talismans pour guérir les malades. À ses yeux comme à ceux de ses disciples, la « magie naturelle » est « le moyen le plus puissant de se passer de l’intervention surnaturelle des démons et de Dieu dans le fonctionnement quotidien de la nature ». Une ambition que les mages-philosophes de la Renaissance partagent avec les premiers scientifiques. L’autre point de convergence entre magie et science réside dans le primat accordé à l’expérience. Non contents de s’en remettre aux textes, les adeptes de la magie se fient à ce qu’ils constatent. À certains égards, leur art est, à la Renaissance, « ce qui se rapproche le plus de la science expérimentale », selon Ball. Ce qu’attesterait, notamment, le traité Magia naturalis de Giambattista Della Porta. « Mélange étrange de recettes traditionnelles et de science », cet ouvrage de 1558 fait la part belle à l’optique. « Les merveilles décrites – des dispositifs comme la chambre noire ou des lentilles agencées de manière à rapprocher des objets éloignés – pouvaient passer pour de la magie. Mais, en quelques décennies, ils furent transformés en une science véritable par Galilée et Kepler. » De là à affirmer que la magie était l’autre nom de la science, il y a un pas que ne franchit surtout pas Brian Copenhaver. Les deux activités partageaient certains principes, mais elles divergeaient par leurs méthodes. La première était « qualitative, ses explications invoquaient des idées circulaires d’attraction et de “sympathies” […], alors que la science reposait sur la précision ». De même, il manquait aux magiciens, avec leur culte du secret, la transparence qui aurait permis de valider leurs hypothèses. Le propos de Copenhaver n’est donc pas de réduire la science des pionniers à de la magie, mais de montrer que les deux pouvaient puiser au même creuset : l’humanisme.
LE LIVRE
LE LIVRE

Le livre de la magie : de l’Antiquité aux Lumières de Brian Copenhaver, Penguin, 2015

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