Des blessures cachées

Nulle part dans son œuvre Kafka ne parle de la mort de ses deux petits frères, ni du raid de la foule en furie contre les magasins juifs dont il a été témoin à 14 ans, ni du suicide de deux de ses condisciples quand il était étudiant. Dans ce contexte, son amitié avec Max Brod prend un relief particulier.

 

Prague, milieu des années 1880. En réclamant de l’eau à plusieurs reprises, un jeune garçon empêche ses parents de dormir ; exaspéré, son père le tire de son lit et le porte jusqu’au balcon commun (ou pawlatsche), où il laisse l’enfant un moment, vêtu d’une simple chemise de nuit. Cet épisode forme l’apogée dramatique de la Brief an den Vater (« Lettre au père »), longue épître rédigée par un Franz Kafka de 26 ans, dans laquelle l’écrivain fait le bilan de ses relations avec son père, Hermann. En fait de maltraitance enfantine, l’incident est bien inoffensif ; Kafka reconnaît d’ailleurs qu’Hermann n’usait des châtiments corporels qu’avec parcimonie. La violence était néanmoins omniprésente sous la forme de la menace, et l’épisode du pawlatsche incarne ce sentiment traumatisant de fragilité : « Pendant des années j’ai souffert le martyre en imaginant que ce géant, mon père, autorité suprême, viendrait sans raison me tirer de mon lit en pleine nuit pour me conduire sur le pawlatsche, et que j’é...
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Kafka. Les premières années de Reiner Stach, S.FIscher, 2014

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