Eva Illouz : « Nous vivons dans la douleur de notre liberté amoureuse »

Affranchi des cadres sociaux qui l’enserraient, l’amour est devenu l’indicateur par excellence de la valeur de soi, le cœur battant de nos projets de vie. C’est bien pourquoi il ne nous a jamais tant fait souffrir. Écartelé entre idéal romantique, désir d’autonomie et standardisation des sentiments, l’individu moderne est désemparé par les nouvelles règles du jeu.

Vous creusez depuis près de vingt ans un sillon original en sociologie, qui consiste à montrer la place centrale qu’occupent les émotions dans les sociétés modernes. Qu’est-ce qui vous a poussée vers cet axe de recherche inédit ? De nombreux chercheurs vont chercher dans leur biographie les sujets qui les préoccupent. En ce qui me concerne, c’est sans doute lié au fait d’avoir vécu dans quatre ou cinq pays : au Maroc, en France, aux États-Unis, en Israël et de façon plus épisodique en Allemagne. Cela m’a appris que, si les cultures diffèrent, c’est d’abord dans leur style émotionnel : à quelles émotions pense-t-on, quelles émotions sont régulées, quel danger représentent-elles ? Le déclencheur précis fut probablement mon étonnement face à la grande méfiance qu’entretient la société américaine à l’égard de la colère, sentiment que j'associais jusque-là à la capacité de défendre la justice et la morale, comme le dit l'expression « sainte colère ». Or, aux yeux des Américains, ce sentiment est une atteinte à l'intégrité de l'autre, le signe d'une psyché mal formée et immature, ...
LE LIVRE
LE LIVRE

Pourquoi l’amour fait mal, Seuil

SUR LE MÊME THÈME

Entretien Et si l’on parlait de Kant ?
Entretien « L’art est ce qu’on veut qu’il soit »
Entretien « L’enseignement dans les universités ? Du travail d’amateur »

Aussi dans
ce numéro de Books