Le dieu des dealers de Rio

La montée en puissance des Églises évangéliques, en particulier pentecôtistes, dans les favelas de Rio est l’un des phénomènes les plus saillants du Brésil contemporain. À l’origine, rappelle O Globo, le vide laissé dans ces quartiers par l’Église catholique et par l’État démissionnaire. Car les temples évangélistes proposent non seulement des lieux de rencontre et de loisirs, mais aussi un réseau d’entraide et de solidarité inexistant par ailleurs. Comment les trafiquants qui font la loi dans les favelas se sont-ils accommodés de cette présence sur leurs territoires ? La sociologue Christina Vital a observé pendant près de quinze ans les liens entre ces deux communautés qu’à première vue tout oppose. Elle en fait dans « Prière de trafiquant » une analyse édifiante. Bien sûr, certains prédicateurs refusent d’intégrer les dealers à leur paroisse, craignant qu’ils ne donnent le mauvais exemple. Mais un nombre non négligeable d’entre eux les accueillent à bras ouverts. L’argent fournit, il est vrai, un authentique terrain d’entente. La « théologie de la prospérité » prêchée par les évangélistes des favelas se coule en effet assez naturellement dans l’écosystème du narcotrafic. Dieu n’est-il pas censé accroître la richesse de ceux qui donnent à l’Église ? Exhiber son argent, comme aiment à le faire les dealers, n’est donc pas un problème. Au contraire. L’auteure a pu voir certains d’entre eux régler le cachet de chanteurs de gospel venus se produire lors d’une fête paroissiale. Tous les religieux qui font bon accueil aux membres des gangs ne sont pas pour autant cyniques. Ils ont parfois l’espoir sincère de réussir à détourner leurs ouailles du trafic. Là aussi, la doctrine évangélique offre un argument en or : ce n’est pas parce qu’ils abjurent la vie criminelle que les trafiquants sont censés abandonner la fortune amassée illégalement. À partir du moment où ses détenteurs mettent leur vie en accord avec la religion (ce que très peu font au bout du compte), l’argent est considéré comme « purifié ».
LE LIVRE
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Prière de trafiquant de Christina Vital da Cunha, Garamond

ARTICLE ISSU DU N°77

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