Le marin oublié
Publié dans le magazine Books n° 94, février 2019.
Une fresque historique campe un héros de la Seconde Guerre mondiale injustement méprisé par les siens.
Sixième et dernier roman d’un cycle entamé il y a six ans, En sjøens helt. Krigerens hjemkomst (« Un héros de la mer. De retour de la guerre ») est aussi l’œuvre ultime de Jon Michelet : l’auteur l’a confié à son éditeur une semaine avant sa mort, en avril 2018, à l’âge de 73 ans. Un contexte particulier qui rend ce livre « encore plus impressionnant », estime le quotidien Dagbladet. Il lui assure en tout cas un franc succès en Norvège, depuis sa parution à la mi-septembre. Le fait que Michelet, un écrivain et journaliste engagé à gauche, y dénonce une injustice faite à de vrais héros méconnus de la Seconde Guerre mondiale y contribue également.
Personnage principal de cette saga de près de 4 000 pages, Halvor Skramstad est un civil qui participe à la lutte contre l’Allemagne nazie. Employé de la marine marchande, il contribue au bon approvisionnement des Alliés en transportant, entre les continents, équipement militaire, matières premières et autres produits. Au péril de sa vie. Alors que, dans la réalité, l’ennemi a coulé près de 500 bateaux norvégiens, tuant quelque 3 700 personnes, le jeune Halvor, lui, réchappe deux fois aux torpilles allemandes. Lorsqu’on le retrouve au début de Krigerens hjemkomst, il est dans le coma, hospitalisé en Océanie après l’attaque de son navire par un kamikaze japonais. Si la guerre touche à sa fin en Europe, elle se poursuit dans le Pacifique. À l’automne 1945, après avoir retrouvé son aimée irlandaise, il rentre enfin en Norvège, presque six ans après son départ. Mais lui qui s’attendait à voir son combat lointain reconnu par les siens ne rencontre que méfiance et moqueries. Dans un pays qui sort de cinq ans d’occupation nazie, on est persuadé que ces marins « ont filé à l’anglaise pour mener la belle vie » aux antipodes, résume Dagbladet.
À 25 ans, Halvar « se lance alors dans d’autres batailles, pour la reconnaissance de la contribution des marins et contre les démons de la guerre qui les habitent : cauchemars, hallucinations, difficultés à se concentrer, alcoolisme », détaille le quotidien Verdens Gang. Il s’agit aussi d’obtenir des compensations après des années de travail dangereux sans salaire décent. « Un des cadavres dans le placard norvégien », pointe le quotidien économique Dagens Næringsliv (dans la réalité comme dans la fiction, l’État finira par faire un geste en 1972). Avec cette série, Michelet, lui-même marin de formation, aura influencé « la manière dont la population norvégienne perçoit son histoire récente », estime le journal. Sur son site, la radio-télévision NRK critique une surabondance d’informations mais voit dans cette « épopée romanesque un ouvrage âpre et important de la littérature populaire norvégienne ».