Les amours obscures de García Lorca

Longtemps occultée, l’homosexualité du poète est une clé d’accès à son œuvre. Une biographie, qui vient de sortir en France, montre, sans pudibonderie, le rôle qu’elle joua dans sa vie et son assassinat.

«Je lui ai mis deux balles dans le cul, à ce pédé », se serait exclamé l’un des hommes du peloton d’exécution franquiste qui fusilla Federico García Lorca en 1936. Longtemps, personne n’a su exactement ce qui était arrivé à l’auteur de La Maison de Bernarda Alba. Le coup d’État franquiste des 17 et 18 juillet 1936 avait surpris Lorca à Grenade, où il était venu de Madrid pour prendre congé de sa famille avant son départ pour le Mexique. Menacé, il dut se cacher dans la maison d’un de ses amis. On ne sait qui l’a dénoncé, mais il fut arrêté, emmené au gouvernement civil de Grenade, retenu prisonnier pendant un jour et demi, torturé, victime, selon le dernier ouvrage de son biographe Ian Gibson, d’agressions sexuelles avant d’être exécuté le 18 ou le 19 août.

L’histoire n’a retenu que la dimension politique de l’assassinat du poète, symbole des crimes franquistes. Pourtant, démontre Gibson dans Le Cheval bleu de ma folie, traduit au Seuil, dès les premiers moments de l’opération d’intimidation lancée contre Lorca, les fascistes ont utilisé l’homosexualité du poète comme une arme contre lui. « Ce qu’il représentait politiquement, son amitié avec le ministre socialiste Fernando de los Ríos, ses déclarations à la presse, le polémique poème Romance de la garde civile, la pièce de théâtre Yerma et autres prétendus délits contre l’Espagne traditionaliste ne leur suffisaient pas. Non, il fallait insister sur le fait qu’il était “pédé” », écrit Gibson dans le prologue de son ouvrage.

Sous le régime de Franco, ses écrits, jugés homo-érotiques, furent interdits jusqu’en 1954 et censurés jusqu’en 1975. « Même sa sœur Isabel et son frère Francisco ont multiplié les efforts pour expurger son œuvre de toute trace d’homosexualité – sujet tabou pour eux », relevait Elizabeth Nash dans The Independent au moment de la publication du livre de Gibson en Espagne. Jusqu’au milieu des années 1980, aucun critique, aucun spécialiste de Lorca n’était prêt à dire publiquement que le poète était gay et qu’il convenait d’en tenir compte quand on s’interrogeait sur sa vie, son œuvre et les raisons de sa mort. Qui en parlait se voyait immédiatement interdire l’accès aux archives détenues par la famille de l’écrivain. Rompant cet obstiné silence officiel, Gibson raconte dans Le Cheval bleu de ma folie le drame du poète de l’« amour obscur » face à la « société machiste et intolérante de l’Espagne du début du siècle », ses amours passionnées pour le peintre Salvador Dalí ou encore le sculpteur Emilio Aladrén, et rappelle que l’œuvre tout entière du poète n’existerait pas sans sa condition de marginal sexuel », résume Peio Riaño dans le quotidien Público. Dans Le Public, dont le sujet est, selon l’écrivain qui souligne lui-même l’adverbe, « franchement homosexuel », le Cheval noir s’exclame : « Oh, amour, amour qui doit faire passer ta lumière par les chaleurs obscures ! Oh, mer sise sur la pénombre et fleur dans le cul du mort ! »

LE LIVRE
LE LIVRE

Le Cheval bleu de ma folie. Federico García Lorca et le monde homosexuel de Les amours obscures de García Lorca, Seuil

SUR LE MÊME THÈME

En librairie Dictateurs, mode d’emploi
En librairie Une science au passé sombre
En librairie Toujours trahies

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Bestsellers

L’homme qui faisait chanter les cellules

par Ekaterina Dvinina

Voir le sommaire