Napoléon, empereur d’Iran

L’un des romans iraniens les plus populaires du XXe siècle met en scène, avec un humour dévastateur, un officier à la retraite pétri d’admiration pour Bonaparte.

«“Je suis tombé amoureux par une chaude journée d’été, précisément un 13 août, vers trois heures moins le quart de l’après-midi” : c’est sur cette phrase mémorable que le narrateur de Mon oncle Napoléon, un classique des lettres perses, commence son histoire », rapporte Tara Taghizadeh dans The Iranian, le magazine en ligne de la diaspora. D’abord publié à Téhéran en 1973, l’ouvrage d’Iradj Pezechkzad fut un énorme bestseller, rapidement adapté en une série télévisée très populaire. Interdits par les censeurs de la République islamique en 1979, le livre comme la série ont continué de circuler sous le manteau.

Mon oncle Napoléon narre « les mésaventures, les querelles, les amours et les rivalités d’une famille de la haute société de Téhéran », résume The Christian Science Monitor. Le narrateur est un adolescent de 13 ans, qui tombe amoureux de sa cousine Leyli par un torride après-midi d’août 1941, au beau milieu de la Seconde Guerre mondiale et à la veille de l’invasion anglo-soviétique de l’Iran, jugé trop favorable à Hitler. « Malheureusement pour le jeune garçon, Leyli n’est autre que la fille de l’oncle Napoléon, le chef dominateur, irascible et paranoïaque du clan familial, poursuit le journal américain. Bien sûr, son vrai nom n’est pas Napoléon : c’est le surnom que ses proches lui ont donné pour se moquer du culte qu’il voue à l’empereur français. » Officier à la retraite, il passe en effet son temps à raconter ses exploits militaires passés comme s’il s’agissait des batailles menées par Bonaparte contre la perfide Albion, s’identifiant chaque jour un peu plus au général. Jusqu’à se persuader que les Anglais qui envahissent le pays cet été-là sont en réalité après lui !

« Comme tout bon ouvrage de fiction, relève pour sa part la romancière Azar Nafisi dans les pages du Guardian de Londres, Mon oncle Napoléon plonge ses racines dans la réalité. » Car la méfiance de l’Iran vis-à-vis du « Petit Satan » remonte au XIXe siècle, quand l’ancienne Perse, frontalière de l’empire des Indes, s’est retrouvée au centre des intérêts stratégiques de Sa Majesté. Depuis, la Grande-Bretagne est devenue la source de tous les maux, accusée de tirer toutes les ficelles à Téhéran : « Qu’on parle de remaniement ministériel ou de l’augmentation du prix du thé, les responsables, ce sont les Anglais », précise Tara Taghizadeh dans The Iranian.

Entre le délire paranoïaque de l’oncle Napoléon, les mensonges du valet Mash Ghassem et les obsessions lubriques de l’oncle Asdollah (qui passe son temps à conseiller à son neveu de partir pour « San Francisco », synonyme de « rapports sexuels »), Mon oncle Napoléon dresse avec humour et ironie « un portrait authentique de la société iranienne, bien loin de l’image sinistre qu’on s’en fait en Occident », conclut Azar Nafisi. Sa traduction est l’occasion de mieux « comprendre sa culture et ses traditions, ses divisions actuelles et son histoire passée, ainsi que ses rapports paradoxaux avec l’Occident ».

LE LIVRE
LE LIVRE

Mon oncle Napoléon de Napoléon, empereur d’Iran, Actes Sud

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