Nous, les hommes
Publié dans le magazine Books n° 94, février 2019.
Seize personnages échangent des confidences dans la chaleur d’un sauna pragois.
Changement de ton. Cette fois, l’écrivain tchèque Jaroslav Rudiš a eu envie de faire rire ses lecteurs, quitte à déloger ses antihéros de leurs bars habituels.
On se souvient que, dans le mélancolique La Fin des punks à Helsinki (Books Éditions, 2012), de doux rebelles assistaient à la fin de leur monde dans leur bar miteux, et que, dans le très sombre Avenue Nationale (Mirobole, 2016), un bagarreur passionné d’histoire militaire monologuait rageusement depuis la taverne de sa cité pragoise.
Très attendu, Česky Ráj, son nouveau roman, se lit comme une « tragicomédie masculine ». Plus comique que tragique, assurément, même si « il y est question de la mort, du suicide et de l’histoire, comme dans mes autres livres », explique au site Aktualně.cz l’écrivain de 46 ans qui fut aussi DJ, manager d’un groupe punk, publicitaire (pour de la bière tchèque !) et journaliste.
À la surprise générale, note le quotidien Dnes, le « paradis tchèque » du titre n’est pas la région montagneuse du nord de la République tchèque qui porte ce nom, mais un sauna. C’est là que, le temps d’une suée, seize hommes venus de tous horizons – chauffeur de taxi, retraité, assureur, pompier, ancien sportif, etc. – tentent de mieux comprendre leur vie, de surmonter leur hypocondrie, d’exorciser leur angoisse de la fin du monde, non sans évoquer la qualité de leur dernier goulasch ou le charme des marchés paysans. Quant aux femmes, elles sont absentes de leur cercle, mais pas de leurs conversations.
Pas de personnage principal, comme le sombre Vandam d’Avenue Nationale : les seize hommes tiennent ensemble le premier rôle. Et c’est un peu de l’identité d’un pays qui se dessine à travers leurs échanges et la diversité de leurs points de vue. « Ces dialogues, peut-être un peu banals de prime abord, témoignent de ce que nous sommes, nous les Tchèques », citoyens d’une « petite nation du centre de l’Europe », apprécie le critique de Dnes.
En réalité, « le narrateur du livre est le sauna », estime Jaroslav Rudiš, lui-même grand amateur de bains de vapeur. Uniquement composé de dialogues, son roman donne à voir « tous ces hommes ensemble, explique-t-il. La grande et ancestrale âme collective masculine. Nous ». Une vision somme toute rassurante, preuve qu’en ce début de XXIe siècle les hommes tchèques ont sérieusement besoin de réconfort. D’ailleurs, comme le précise Rudiš, en sortant de la séance qui leur tient lieu de psychanalyse collective, les protagonistes « vont tous ensemble boire une bière ».