Ces riches qui nous veulent du bien
Publié le 13 mars 2019. Par Pauline Toulet.
Lorsque le journaliste et essayiste américain Anand Giridharadas a rejoint en 2011 les rangs du prestigieux Institut Aspen, c’est comme si le loup était entré dans la bergerie. Ce think tank se veut un lieu d’échange des élites mondialisées désireuses de réfléchir aux grands enjeux contemporains. Siégeant au milieu de riches patrons officiant chez Goldman Sachs ou Facebook, le journaliste ne tarde pas à flairer l’existence d’une embarrassante contradiction dans la posture de ces philanthropes si soucieux de faire le bien, alors même que leurs entreprises sont parmi les plus nocives pour la société.
L’illusion réconfortante du gagnant-gagnant
De cette incursion dans la sphère des ultrariches, Giridharadas a tiré un livre, Winners Take All, dans lequel il « se moque sans pitié des riches qui voudraient bien tout changer sauf les règles qui permettent et protègent leur statut. Il tourne en dérision ces concepts qu’ils ont forgés, tels que “gagnant-gagnant”, cette idée qu’il n’y a pas de tension entre garnir son portefeuille et faire le bien », commente Lucia Graves dans The Guardian.
Ce que fustige l’auteur, ce n’est pas la philanthropie en tant que telle, mais son usage comme « appareil de justification ». Plutôt que de remettre en question le fonctionnement même de nos sociétés, certains ploutocrates préfèrent financer d’extravagants projets destinés à résorber les inégalités – inégalités dont eux-mêmes bénéficient, pointe le journaliste. En somme, tout ce beau monde semble souffrir de dissonance cognitive.
Les riches champions du don
Giridharadas dresse le portrait de ceux qu’il appelle les « champions du don », ces chefs d’entreprise qui se sont distingués pour leur largesse. Il s’intéresse par exemple aux Sackler, une illustre famille de philanthropes américains. Ils ont bâti leur fortune (13 milliards de dollars) grâce à l’industrie pharmaceutique, notamment la vente de médicaments opiacés. C’est leur entreprise, Purdue Pharma, qui a mis sur le marché l’OxyContin, cet antidouleur extrêmement addictif accusé d’être à l’origine de la crise des opioïdes aux États-Unis. Paradoxalement, ce que l’on retient des Sackler, ce sont leurs activités philanthropiques, souligne l’auteur. Une aile du Metropolitan Museum de New York porte leur nom. Même le Louvre leur rend hommage : l’aile nord de la cour Carrée a été réaménagée grâce « à la générosité de Theresa Sackler », précise le site du musée.
À lire aussi dans Books : « Rentables, vous dis-je ! », mars 2013.