Suprême dissidence

Les juges minoritaires à la Cour suprême ont souvent été visionnaires dans leur lecture de la Constitution.

« La meilleure épreuve de vérité est le pouvoir qu’a la pensée de se faire accepter dans la compétition du marché. » En formulant ainsi, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le principe d’un « libre marché des idées », le juge de la Cour suprême des États-Unis Oliver Wendell Holmes ne se doutait probablement pas qu’il posait les jalons d’une révolution juridique et politique. À cette époque, Holmes ne parlait que pour lui-même. Le document dans lequel il exposait sa vision du 1er amendement était une « opinion dissidente », ainsi que l’on appelle, en droit américain, la possibilité offerte à tout juge minoritaire d’exprimer son désaccord avec un arrêt de la Cour. En 1919, en pleine « peur rouge », la plupart des magistrats avaient une interprétation très restrictive de la liberté d’expression. Celle-ci n’était conçue que pour garantir les opinions « les plus inoffensives », lit-on dans un article de la Boston Review consacré au livre de l’historien du droit Melvin Urofsky, « Dissidence à la Cour suprême ». En s’opposant à la décision d’un tribunal de condamner des militants pour diffusion de pamphlets prosoviétiques, Holmes pouvait facilement passer pour un dangereux idéologue. Mais c’est son interprétation qui s’imposa quelques décennies plus tard. Telles que les présente Urofsky, les opinions dissidentes ont au moins autant d’importance que les arrêts eux-mêmes. « Les évolutions de la doctrine constitutionnelle ont bien souvent été d’abord formulées par des solitaires », commente le Washington Post. Dès 1896, un juge – un certain John Marshall Harlan – écrivait que la loi suprême « ne connaît pas de couleurs ». Près de soixante ans plus tard, le célèbre arrêt Brown vs. Board of Education déclarait inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans les écoles. En 1928, le juge Louis Brandeis formulait, dans le cadre d’une affaire d’écoutes téléphoniques, un « droit à être laissé tranquille », préfigurant le futur droit au respect de la vie privée. Reste à savoir si toutes les opinions dissidentes se valent. Rares jusqu’au début du XXe siècle, les désaccords sont aujourd’hui légion. Certains juges sont connus pour en faire un usage que d’aucuns jugent excessif. Dans une opinion dissidente s’opposant à l’arrêt de juin 2015 légalisant le mariage homosexuel, le juge Antonin Scalia déclarait vouloir « cacher sa tête dans un sac » s’il devait un jour se rallier à une telle décision. Il n’est pas dit que des propos de ce genre entrent un jour dans le « canon » des opinions dissidentes qui intéressent Urofsky.
LE LIVRE
LE LIVRE

Dissidence à la Cour suprême de Melvin Urofsky, Pantheon, 2015

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