Roman – La Syrie des autres

Impossible de ne pas faire le rapprochement : le thème choisi pour son nouveau roman par la Syrienne Rosa Yassin Hassan fait écho au très beau film La Vie des autres – l’histoire d’un agent de la Stasi (la police politique de l’ex-RDA) chargé de surveiller les faits et gestes d’un intellectuel. Autres temps, autre dictature, le livre de Rosa Yassin Hassan se situe, lui, dans la Syrie de Bachar el-Assad.

Impossible de ne pas faire le rapprochement : le thème choisi pour son nouveau roman par la Syrienne Rosa Yassin Hassan fait écho au très beau film La Vie des autres – l’histoire d’un agent de la Stasi (la police politique de l’ex-RDA) chargé de surveiller les faits et gestes d’un intellectuel. Autres temps, autre dictature, le livre de Rosa Yassin Hassan se situe, lui, dans la Syrie de Bachar el-Assad. Mais, comme le héros du film, celui de Prova se nourrit de la vie des autres – ceux dont il est chargé de retranscrire les écoutes pour le compte du régime. Ce diplômé de philosophie avait pourtant d’autres ambitions : il rêvait d’enseigner. Son père lui a ordonné d’effectuer son service militaire dans les services de renseignement pour ensuite y faire carrière : « À quoi bon la philosophie et les philosophes ? Tous des complexés et des traîtres. Ainsi, mon fils servira sa patrie et aidera à la protéger de ses démons. »

À travers lui, le lecteur entre dans l’intimité d’« une galaxie de personnages dont la frustration est le point commun », souligne Dima Wannous dans le quotidien libanais As-Safir. Il y a Hani, un obsédé sexuel notoire qui se masturbe contre les mannequins du magasin de vêtements où il travaille et se consume de désir pour sa propre sœur (« Pourquoi l’inceste est-il interdit ? », se lamente-t-il) ; il y a aussi Lamia, mariée de force à un compatriote émigré dans un lointain pays, qui se révèle homosexuel ; et puis Mehyar, un artiste, et sa mère, Hala, dont l’importance ira croissant au fil du récit. Car Hala a des secrets que l’espion va peu à peu mettre au jour : jeune fille, elle a épousé un militant d’extrême gauche (le père de Mehyar) contre l’avis de sa famille, très religieuse. Quand il fut assassiné, elle n’eut d’autre choix que de se remarier avec un homme pieux choisi par ses parents. Restée paralysée après être tombée d’une échelle, elle ne peut plus désormais que méditer. Elle a d’ailleurs troqué sa foi musulmane contre le bouddhisme et rassemblé autour d’elle une étrange secte de femmes… Mehyar, quant à lui, partage son temps entre la peinture et les soins à Hala, qu’il prend entièrement en charge. Une relation troublante entre une mère et son fils, qui va jusqu’à l’épiler et à changer ses serviettes hygiéniques, dont il se sert ensuite pour peindre… Entre fascination pour sa génitrice et dégoût du corps féminin, Mehyar est sexuellement impuissant et doit renoncer à la femme qu’il aime.

« La répression, la police et les prisons syriennes ont été le sujet de nombreux romans, mais jamais auparavant la surveillance et ses conséquences sur la vie privée n’ont été scrutées de si près », observe Samir El-Zebn dans les colonnes du quotidien Al-Mustaqbal de Beyrouth. En plongeant dans les pensées d’un agent du renseignement dont on ne connaîtra ni le nom ni le visage, « Rosa Yassin Hassan nous fait entrer là où aucun romancier syrien n’avait encore osé pénétrer », renchérit Wannous, qui salue non seulement la dimension politique de l’œuvre, mais aussi sa qualité littéraire. « La plume et l’imagination de l’auteure transcendent les personnages apparemment ordinaires dont le jeune militaire recueille des bribes de paroles. » Prova s’enrichit d’une mise en abyme lorsque ce dernier entreprend de composer un roman à partir de ses écoutes – c’est le « projet » du titre, alimenté par les annotations et réflexions que l’agent inscrit dans les marges de ses rapports (« Chaque voix a une couleur, une chaleur et une humeur uniques », remarque-t-il un jour). Rosa Yassin Hassan s’empare de ces fils narratifs pour dérouler son propre récit, dont Wannous souligne l’érudition et la maîtrise. La réputation de cette romancière alaouite – qui a décidé de publier ses livres au Liban pour échapper à la censure – est, il est vrai, déjà bien assise : son précédent roman a été finaliste du prestigieux Booker Prize arabe (1). Quant à Prova, il est dédié par la jeune femme à tous les Syriens qui furent enfants, comme elle, des années 1970. « Ce roman est né de vos défaites et de vos déceptions », dit sa dédicace. 

1| « Les gardiens de l’air », non traduit en français.

LE LIVRE
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Projet de Roman – La Syrie des autres, Al-Kawkab – Riyad Al-Rayes

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