Du gaz moutarde contre l’Éthiopie

« Remettre en cause, une fois pour toutes, le mythe des “Italiens, braves gens” ». Le quotidien Avvenire résume par ces mots le projet de Simone Belladonna. Dans un essai intitulé « Gaz en Éthiopie », ce jeune politologue s’attaque à l’idée toujours vivace selon laquelle la colonisation par le « Bel Paese » aurait été plus « humaine » que celle qu’ont menée ses voisins. ­Selon une lecture qui a longtemps dominé l’historiographie nationale, les conquêtes de Mussolini en Afrique de l’Est étaient dictées par la seule volonté de ­rivaliser avec les puissances européennes. Ni l’armée ni les colons n’ont commis d’exactions comparables à celles qui ont été perpétrées ailleurs en Afrique ou en Asie. Cette thèse a été démentie par l’ouverture, en 1995, des archives relatives à la campagne d’Éthiopie. Preuve fut apportée que les Italiens avaient fait usage de gaz de combat inter­dits par le droit international et que ces gaz avaient tué des soldats, mais aussi des civils. Les chiffres sont « déconcertants », selon Avvenire: entre octobre 1935 et mai 1936, plus de 1 000 bombes C500T au gaz moutarde ont été larguées sur le front nord, tandis que le front sud (l’actuelle Somalie) recevait une centaine d’engins du même type et environ 300 bombes au phosgène. Comme le souligne le Corriere della Sera, « la campagne d’Éthiopie fut pour l’Italie la guerre du colonialisme le plus grossier » – l’expression d’une idéologie qui exaltait le « surhomme » fasciste et reléguait les Africains au rang de race inférieure. « À la vue de ces indigènes est né en nous un orgueil jusqu’alors inconnu : ­celui d’être blancs », peut-on lire dans les Mémoires de l’une des « chemises noires » citées par Belladonna.
LE LIVRE
LE LIVRE

Gaz en Éthiopie : les crimes oubliés de l’Italie coloniale de Simone Belladonna, Neri Pozza, 2015

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