Les paradoxes du bon sens

Les notions de « sens commun » et de « bon sens » ont été utilisées par les penseurs des Lumières pour mettre en avant la faculté de juger de l’homme ordinaire. Elles ont ainsi servi de tremplin à la démocratie. Mais elles ont toujours été exploitées, aussi, par les populistes et les réactionnaires.

Les lecteurs de la London Review of Books ne doivent pas avoir beaucoup de sens commun : après tout, c’est une revue d’« intellos ». On trouve parmi ses collaborateurs des marxistes, des féministes et des philosophes postmodernes. Existe-t-il rien de plus éloigné du sens commun, du gros bon sens des hommes et femmes ordinaires ? Nous sommes tellement habitués à cet usage du mot que Sophia Rosenfeld nous bouscule un peu en rappelant que le « sens commun » a eu autrefois des connotations politiques très différentes, et qu’il y a 200 ans le fait de s’en remettre au sens commun des personnes ordinaires suffisait à vous cataloguer comme un dangereux démocrate. Dans Le Sens commun, le pamphlet paru en 1776 qui le rendit célèbre, Thomas Paine en appelait sans cesse aux « simples faits », à la « vérité toute nue » et à la « simple voix de la nature » pour justifier la rébellion de l’Amérique contre la Grande-Bretagne (1). Il dénonçait aussi, remarque Rosenfeld, « les formulations et raisonnements complexes ou ambigus, indices d’une volonté de tromper ou de manipuler », se rapprochant un peu trop des populistes contemporains, qui raillent les mots à ...
LE LIVRE
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Le Sens commun : Histoire d’une idée politique de Sophia Rosenfeld, Presses Universitaires de Rennes, 2014

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