L’intelligence et le génie


Mots chargés, mots piégés, génie et intelligence entretiennent des rapports incestueux. Leur sens a évolué au fil des siècles, s’est démultiplié et continue d’alimenter irritation et controverses. Témoin de son temps, Derrida voyait dans le génie un « mot intenable, auquel personne aujourd’hui n’oserait encore tenir un instant ». Et pourtant, tout le monde y tient, soit pour désigner telle idole du foot ou de la chanson, soit pour se référer à ces personnages monstrueux que furent un Shakespeare, un Beethoven ou un Einstein. L’intelligence aussi est un mot intenable, tant est grande la crainte de la voir réifiée, réduite à un chiffre de QI ou un improbable « facteur g ». Mais les mots désignent bien quelque chose, et ce quelque chose vaut qu’on l’examine, qu’on le fouille. Même si finalement l’enquête aboutit à un échec. Car, aurait sans doute conclu Socrate, « le génie et l’intelligence, mon cher Criton, il nous faut bien l’admettre : nous ne savons pas ce que c’est ». Le génie est « la plus mystérieuse des formes d’intelligence », propose un auteur. Ce qui ne nous avance guère. Certains scientifiques aimeraient bien mettre en évidence des gènes de l’intelligence, et pourquoi pas du génie, mais indépendamment même de son caractère contestable, il s’agit peut-être d’une idée fausse. Ici, une mise en garde s’impose. Une confusion pollue depuis des décennies le débat sur l’héritabilité de l’intelligence. L’héritabilité n’est pas l’hérédité. C’est une notion statistique qui s’applique à une population. L’hérédité, elle, concerne le legs reçu par tel ou tel individu. Ce n’est pas parce qu’un trait comme le QI ou le résultat au bac est héritable qu’il est hérité. L’héritabilité ne dit rien sur ce qui va se passer pour tel enfant. Marchons sur des œufs, donc.   Dans ce dossier :

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