Pamuk, brillant ou naïf ?

Dans une série de conférences, le prix Nobel de littérature turc interroge l’art du romancier. Enthousiasmant de simplicité ou simplement niais ?

« Depuis une cinquantaine d’années, la critique littéraire a renoncé à son devoir de dire des choses intéressantes à un lecteur ordinaire. Nous sommes condamnés aux recensions en ligne (“J’aime ce livre parce que je pense qu’il est fantastique”) ou à la critique académique que bien peu acceptent de lire sans être payés pour ça », regrette Philip Hensher du Daily Telegraph, qui cite tout de même deux exceptions à ce désastre général : les critiques qui paraissent dans son journal, bien sûr, mais surtout les ouvrages des romanciers sur la littérature, qui « ont l’incontestable mérite d’être écrits par des gens qui savent comment ça fonctionne ». Ainsi du livre d’Orhan Pamuk, qui sort ces jours-ci en français et rassemble six conférences données par le prix Nobel turc en 2009 à Harvard. Hensher se réjouit qu’« elles exposent de brillantes idées de la théorie littéraire sans jamais jargonner ».

Comme l’indique le titre, l’ouvrage tourne autour de la distinction entre deux types de romancier – le naïf et le sentimental – que Pamuk emprunte à Schiller. Le premier, complètement absorbé dans son œuvre, écrit spontanément sans se soucier du processus de création. Le second au contraire reste comme extérieur à son art et attentif à tout ce qu’il peut avoir de fabriqué. Bien sûr, ces deux catégories sont loin d’être étanches, comme l’explique Pamuk qui s’appuie non seulement sur sa propre expérience d’écrivain, mais aussi sur sa familiarité avec les grands romanciers européens des XIXe et XXe siècles, Tolstoï en premier lieu, mais aussi Balzac, Melville ou Thomas Mann. Selon lui, le roman est avant tout un art visuel, même s’il existe quelques exceptions, comme l’œuvre de Dostoïevski, et chaque grand texte possède un « centre secret », sur lequel il reste malheureusement « quelque peu énigmatique », selon The Hindu.

Plutôt bien accueilli par la presse britannique lors de sa publication outre-Manche, en 2011, le livre a suscité néanmoins quelques réactions hostiles. Parmi elles, celle d’Adam Mars-Jones, dans The Observer, qui raille la tendance de l’auteur à « généraliser sans jamais aller au fond des choses » et à faire des distinctions « pompeuses » pour les invalider aussitôt. Outre celle du titre, il cite l’opposition entre « écrivains verbaux » et « écrivains visuels », dont Pamuk, quelques phrases après l’avoir solennellement édictée, reconnaît lui-même qu’elle n’est pas nécessairement toujours très pertinente. À en croire le critique, les fadaises qu’aligne à certains moments le prix Nobel n’ont pu qu’étonner ses très élitistes auditeurs d’Harvard qu’il imagine, perplexes, se demandant s’ils ont bien « affaire au bon Pamuk »… 

LE LIVRE
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Le Romancier naïf et le Romancier sentimental de Pamuk, brillant ou naïf ?, Gallimard

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