Souvenirs sous influence

Nous avons beau savoir que nos souvenirs peuvent nous tromper, nous aimons y croire dur comme fer. Et détestons les perdre – sauf les plus pénibles d’entre eux. La mémoire est le socle de notre identité. Si elle nous fait défaut, si elle nous ment, si nous la savons manipulable, c’est le sol qui se dérobe sous nos pieds.

C’est seulement à l’approche de la quarantaine que je fus frappée par l’étrangeté de l’image mentale que j’ai conservée du salon de mon enfance : un fauteuil, mon père assis dedans, cheveux argentés, moustache, bottines en daim marron, et moi, âgée d’environ 6 ans, sur ses genoux. La disposition générale est juste – je suis retournée dans l’immeuble et je me suis assise dans le séjour de l’appartement voisin, au plan identique. La porte est au bon endroit, le fauteuil est exactement tel quel, j’en suis sûre, avec son tissu bordeaux ; le tapis à motifs ; les fenêtres donnant sur le mur de brique des bureaux d’en face. Mon père ressemble à mon père sur les photos que j’ai de lui. Je ressemble… eh bien, en réalité, je n’ai aucune photo de moi à cet âge-là. Mais je suis certaine que je ressemblais tout à fait au souvenir que je convoque à volonté. Ce n’est pas une réminiscence particulièrement intéressante. Il ne se passe rien de spécial. Ce pourrait être une peinture, ou une photographie, si ce n’est ...
LE LIVRE
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La mémoire, fragments d’une histoire moderne de Alison Winter, Chicago University Press, 1998

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