La transition énergétique, un piège bien huilé

Le programme éolien français est sans intérêt pour le climat, très coûteux, dommageable pour l’environnement et irrespectueux du droit. Comment expliquer son statut de priorité nationale ?


© Leligny / Andia.fr

Depuis les années 2000, les engagements publics dans le développement de l’éolien représentent 72,7 à 90 millions d’euros. Ici, transport des éléments d’une éolienne dans le Pas-de-Calais.

La « transition énergétique » va nous permettre à la fois de sortir du nucléaire, de ne plus dépendre du pétrole et du gaz, de lutter efficacement contre le changement climatique et d’engager une décentralisation de la production d’énergie. Tels sont les quatre arguments développés par les promoteurs des énergies renouvelables un peu partout dans le monde. Le concept est né en Allemagne au lendemain du deuxième choc pétrolier (1979). Là-dessus est arrivée la crainte du réchauffement climatique, devenu un enjeu mondial à partir de 1992 (sommet de Rio). Le vrai basculement s’est produit sous le gouvernement Schröder avec la loi de 2000 sur les énergies renouvelables, un modèle fondé sur des subventions (prix garantis), presque aussitôt suivi par la France. En 2001, la Commission de Bruxelles fixe des objectifs de renouvelables par pays. Depuis lors, la Commission n’a cessé de durcir ses injonctions, une étape clé étant le paquet énergie-climat de 2008, avec deux objectifs contraignants : réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre (par rapport à 1990) et porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie de l’Union ­européenne. Ce dernier objectif est ensuite passé à 27 % puis, fin 2018, à 32 %. L’UE s’engage plus globalement à parvenir à la neutralité carbone en 2050 ­(équilibre entre les émissions et leur retrait de l’atmosphère). Une belle ambition, dont la Commission estime qu’elle devra mobilier des investissements « de 260 à 300 milliards d’euros par an ». Jusqu’ici, la France s’est alignée sur la position de Bruxelles.   Sans entrer dans tous les aspects de cette politique volontariste et controversée, le présent document se concentre sur la question de l’énergie éolienne. Celle-ci constitue en effet un excellent point d’entrée pour dévider la pelote de la transition énergétique, problématique d’une rare complexité.   Les différents arguments présentés convergent vers la même conclusion : au moins en France, promouvoir l’énergie éolienne repose sur un contresens. Elle est sans intérêt pour le climat, très coûteuse, dommageable pour l’environnement et attentatoire au bon fonctionnement de la démocratie.     Les éoliennes produisent de l’électricité, laquelle représente à peine plus de la moitié de l’énergie consommée en France. Or la production électrique est déjà largement décarbonée. Nous émettons dix fois moins de gaz carbonique (CO2) par kilowattheure produit que la moyenne des pays européens. La raison est simple : 84 % de notre production d’électricité est le fait du nucléaire, qui émet très peu de CO2 (encore moins que l’éolien), et de l’hydraulique, qui n’en émet pas du tout. Pour Antoine Waechter, ancien candidat écologiste à l’élection présidentielle, « l’éolien ne sert à rien ». Un point de vue isolé ? Pas du tout. Pour Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie, « le développement des énergies renouvelables électriques ne sert pas à diminuer les émissions de CO2 ». La députée macroniste Marjolaine Meynier-Millefert, auteure d’un récent rapport d’enquête parlementaire, a déclaré sans ambages devant un conclave d’industriels de l’éolien : « La transition énergétique ne sert pas à la transition écologique. »   Les choses pourraient-elles changer ? Car décision est prise de faire passer la part du nucléaire de 75 % environ actuellement à 50 % d’ici à 2035 (la date a été reculée). Mais l’éolien peut-il vraiment contribuer à se substituer au nucléaire ? L’exemple de l’Allemagne permet d’en douter. Ce pays est le premier producteur d’énergie éolienne en Europe (un quart de la production d’électricité). Or ­l’Allemagne d’Angela Merkel – qui, après l’accident de Fukushima, s’est engagée dans un retrait complet du nucléaire d’ici à 2022 – est de loin le plus gros émetteur de CO2 en Europe, et ces émissions n’ont pratiquement pas diminué depuis dix ans.   En cause, le défaut majeur de l’éolien (et du solaire) : l’intermittence. Quand il n’y a pas (ou trop) de vent, les éoliennes ne produisent rien. En règle générale, la production éolienne est très variable. Pour honorer la demande des consommateurs d’électricité – industries et particuliers –, il faut donc compenser par les installations traditionnelles, dites pilotables. Lesquelles doivent être mises en service dans un délai de quelques heures, voire quelques minutes. Comme l’Allemagne n’a presque plus de ­nucléaire et très peu d’hydraulique, ce sont les centrales à charbon et à gaz qui sont sollicitées. Par ailleurs, l’électricité des éoliennes doit être raccordée au réseau. Or celui-ci n’a pas été conçu pour relier les aérogénérateurs aux zones où les ­besoins en électricité sont les plus massifs. Il faut donc ériger de nouvelles lignes à haute tension ; en Allemagne, le problème est aigu car la plupart des éoliennes sont dans le Nord, venté, alors que le gros de la consommation d’électricité se trouve dans le Sud. Pour desservir les nouvelles installations éoliennes actuellement prévues un peu partout en France, il faudra aussi créer un nouveau réseau de haute et moyenne tension.     Selon l’ingénieur des Mines Fabrice Dambrine, « l’investissement que représentent les installations intermittentes ne peut que venir en complément et non en substitution des investissements dans les centrales pilo­tables ». Lors de la vague de froid de janvier 2017, il a même fallu remettre en service en catastrophe des centrales au fuel et au charbon que l’on avait jugé bon de fermer. Le projet d’éoliennes offshore dans la baie de Saint-Brieuc s’accompagne de la construction d’une centrale thermique à Landivisiau.     Les coûts cumulés de cette politique sont considérables. Selon le député ­Julien Aubert, ancien membre de la Cour des comptes qui présidait la commission d’enquête déjà évoquée, « l’addition des différents soutiens directs à l’éolien repré­sente de 72,7 à 90 milliards d’euros : 9 milliards depuis le début des ­années 2000, 45 milliards pour des contrats en cours d’exécution ou conclus mais non encore honorés », auxquels il faut ajouter « de 18,7 à 36 milliards pour l’impact budgétaire des engagements à souscrire pour atteindre les objectifs ».   De son côté, l’inspecteur des finances Patrice Cahart a comparé le coût probable d’une prolongation du tiers du parc nucléaire qu’on entend « sacrifier » au coût probable de son remplacement par des renouvelables (à l’horizon 2035). Il estime le premier à 27 milliards d’euros, le second à 119 milliards, dont 65 milliards pour l’éolien terrestre et 12 milliards pour l’éolien offshore – hors éoliennes flottantes. Encore ces coûts n’intègrent-ils pas l’extension du réseau électrique, le démantèlement des centrales et l’indemnisation d’EDF pour leur fermeture prématurée. Pour l’économiste de l’énergie Dominique Finon, « rien ne justifie économiquement » l’objectif désormais affiché de faire monter la part des renouvelables à 40 % de la production d’électricité.   Les coûts environnementaux ne sont pas moins considérables. Plusieurs livres et rapports récents les détaillent : paysages défigurés, même dans certains parcs naturels, atteintes à des sites classés, menaces pour la faune aviaire (dont des espèces protégées) et, concernant l’offshore, pour les ressources halieutiques, emprises au sol ­démesurées, impacts sonores et visuels sur les riverains (troubles du sommeil). Si l’on ajoute à cela le cycle de fabrication, les risques de pollution des sols (métaux lourds) et l’épineuse question du démantèlement (la durée de vie moyenne d’une éolienne est de vingt ans), on aboutit à un bilan écologique négatif1.   La passion pour l’éolien qui anime nos décideurs se traduit en outre par une accumulation croissante d’entorses aux principes généraux du droit dans une démocratie respectueuse de ses citoyens. Les aérogénérateurs sont dispensés de permis de construire. La distance minimale entre les ­éoliennes et les habi­tations est restée fixée à 500 mètres, alors que les aérogénérateurs ont triplé de volume ou ­davantage. Les études d’impact sont laissées aux bons soins des promoteurs. Un arrêté du 26 août 2011 autorise ces derniers à ne pas tenir compte du Code de la santé en matière d’émissions sonores. Pour dissuader les riverains de déposer un ­recours, un décret du 29 novembre 2018 empêche les associations de défense d’accéder au juge de première instance. Un ­décret du 24 décembre 2018 sur les enquêtes ­publiques prévoit de supprimer le commissaire enquêteur au profit d’une simple consultation sur Internet. Enfin, les promoteurs ne sont pas ­tenus d’acheter les parcelles sur ­lesquelles ils installent les aérogénérateurs, ce qui leur permet, le cas échéant, de laisser le gros de la charge du ­démantèlement à venir au propriétaire du terrain, souvent un agriculteur, qui n’en est pas informé et n’aura pas les moyens d’y faire face.   « Faute d’avoir établi une stratégie claire et des dispositifs de soutien stables et cohérents, le tissu industriel français a peu profité du développement des énergies renouvelables », observe la Cour des comptes dans un second rapport très critique sur le sujet, publié en 2018. C’est un euphémisme. Dans un petit ouvrage qui vaut le détour, ­Hervé Machenaud, ancien directeur de la branche Asie-­Pacifique d’EDF, explique comment la rencontre entre deux idéologies, celle d’un écologisme doctrinaire et celle d’un libéralisme obsédé par la mise en concurrence des acteurs (« l’idéologie dérégulatoire »), a abouti, en promouvant les renouvelables, à engendrer une surcapacité de la production électrique, provoquant une cascade d’effets pervers qui vont de la mise en péril de l’industrie française de l’énergie à l’aggravation de la ­précarité énergétique pour les plus démunis 2. C’était avant la crise des Gilets jaunes… En termes d’emplois, le risque est sans commune mesure avec les quelque milliers de postes créés par l’éolien (les aéro­générateurs sont ­importés). Comme d’autres, Hervé Machenaud montre ­aussi que l’idée d’une décentralisation de la production électrique est une illu­sion de plus puisque les renouvelables doivent nécessairement alimenter le ­réseau national.   Si donc rien ne justifie le programme éolien français au regard de la lutte contre le réchauffement climatique et au regard de l’économie, s’il est préjudiciable à l’environnement, s’il justifie des entorses au respect du droit, comment comprendre qu’il reste considéré comme une priorité nationale ?

Notes

1. On peut lire, entre autres, Pierre Dumont et Denis de Kergorlay, Éoliennes : chronique d’un naufrage annoncé (François Bourin, 2018) ; Jean-Louis Butré, Éolien, une catastrophe silencieuse (L’Artilleur, 2017) ; Fabien Bouglé, Éoliennes. La face noire de la transition écologique (Éditions du Rocher, 2019).

2. La France dans le noir, Les Belles Lettres, 2017, réédité en 2019.

LE LIVRE
LE LIVRE

Le soutien aux énergies renouvelables de communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat, mars 2018

ARTICLE ISSU DU N°0105

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