Le cauchemar d’une adoption

La romancière tchèque Tereza Boucková raconte l’effroyable échec de son adoption de deux enfants tziganes. Un récit sans fard qui a provoqué un violent débat politique.

Il y a vingt ans, Tereza Boucková concluait son roman autobiographique (« La course des Indiens ») sur sa décision d’adopter deux bébés tziganes. Dans « L’année du coq », son journal rédigé vingt ans après, « le happy end a disparu et l’histoire a pris une tout autre tournure », prévient Literární noviny. « Tereza Boucková décrit la dure réalité d’une mère de famille pleine de bons sentiments qui a adopté deux enfants, et se retrouve prise au piège », résume le site iLiteratura. La romancière n’arrive plus à écrire. Elle est fatiguée, malade, son mari la néglige. Et surtout, ses fils adoptifs, Patrik et Lukáš, sont devenus ingérables. Le cadet, qui s’adonne à la drogue, vole ses parents : tout est sous clé dans le foyer familial. L’aîné vit dans la rue et multiplie les braquages. Sa mère, en proie à une profonde dépression, perd l’envie de vivre. « Tereza Boucková se pose les mêmes questions que tous les lecteurs : ont-ils, elle et son mari, donné la meilleure éducation possible à leurs enfants ? Les choses auraient-elles pu se passer autrement ? », s’interroge Literární noviny. La romancière raconte qu’elle a recherché l’aide de psychologues, en vain : « Ils étaient tous à côté de la plaque. Des romantiques avec des théories naïves qui fonctionnent peut-être avec des enfants moyennement difficiles dans des familles normales. Mais certainement pas dans la nôtre. » Elle finit par perdre foi dans l’éducation. C’était fichu d’avance, conclut l’écrivain, attirant l’attention sur le manque affectif des bébés abandonnés qui arrivent dans leur famille adoptive plusieurs mois après leur naissance, déjà trop tard selon elle. Et d’asséner, dans un entretien au magazine féminin Marianne : « Je suis pour l’abolition de l’adoption. […] Faire semblant d’être une vraie famille relève de l’hypocrisie. » Tereza Boucková affirme que, si c’était à refaire, elle recommencerait. En prenant davantage de précautions : « Je m’intéresserais aux parents biologiques, pour voir par où ils sont passés et ce qu’ont, donc, traversé les enfants, explique-t-elle. J’hésiterais aussi à élever un enfant d’un autre peuple. Parce que les différences culturelles entre deux ethnies, fruit d’une histoire transmise de génération en génération, peuvent être beaucoup plus profondes et insurmontables qu’on ne le pense. » De tels propos lui ont valu d’être accusée de racisme. On lui a aussi reproché d’être responsable de la baisse du nombre d’adoptions d’enfants tziganes dans son pays. Mais l’hebdomadaire de gauche Respekt prend sa défense : « Tereza Boucková est devenue la porte-parole de ceux qui affirment que voler, battre le pavé et mentir est inné chez les Roms, alors qu’elle voulait juste mettre en garde les idéalistes qui se lancent dans une entreprise difficile. Aurait-elle dû se taire ? Elle en est incapable. Dans l’histoire de la littérature, on appelle ce genre d’auteurs des enfants terribles, ceux sans qui de nombreux sujets ne seraient jamais abordés. »
LE LIVRE
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L’année du coq de Le cauchemar d’une adoption, Odeon

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