Publié dans le magazine Books n° 91, septembre/octobre 2018.
Pourquoi le corps sans vie revêt-il une telle importance, à toutes les époques et dans toutes les cultures ?
L’URSS était un État ouvertement athée, qui se réclamait de la science et du réalisme. Mais à la mort de Lénine, en 1924, elle s’empressa de créer un culte autour de son corps embaumé. N’aurait-il pas été plus rationnel de le laisser se décomposer ? De suivre même, tant qu’à faire, le conseil du philosophe Diogène, qui avait demandé à ses disciples de jeter son cadavre aux chiens ? Le raisonnement de Diogène était on ne peut plus logique et conséquent : il est absurde de prendre soin d’une enveloppe vide, d’une matière désormais irrémédiablement inerte. Et pourtant nous le faisons. Ce paradoxe est au cœur de la somme qu’a consacrée l’historien Thomas Laqueur au « travail des morts ». On aurait pu imaginer qu’avec la perte du sentiment religieux en Occident l’étrange respect qu’on voue aux dépouilles mortuaires se dissiperait, qu’on n’y verrait plus qu’une vaine superstition. Il n’en a rien été. Laqueur constate que le soin des morts est un universel humain – et d’ailleurs le propre de notre espèce. «
Le Travail des...