Le fantasme de la femme orientale

« L’Orient est l’Orient, et l’Occident est l’Occident ; jamais ils ne se rencontreront », écrivait Rudyard Kipling. À tort. Car il existe au moins un terrain où les deux civilisations se mêlent avec enthousiasme, nous dit aujour­d’hui Richard Bernstein : le lit. Selon ce fin connaisseur de l’Asie (longtemps correspondant de Time à Pékin), le mâle occidental a une prédilection particulière « pour les femmes asiatiques, sans hanches ni fesses, dont les seins ressemblent plus à des prunes qu’à des melons ». Mais aussi pour les beautés d’Arabie, d’Afghanistan ou de Somalie qui, toutes, entrent dans sa définition très large de la « femme orientale ».

« L’Orient est l’Orient, et l’Occident est l’Occident ; jamais ils ne se rencontreront », écrivait Rudyard Kipling. À tort. Car il existe au moins un terrain où les deux civilisations se mêlent avec enthousiasme, nous dit aujour­d’hui Richard Bernstein : le lit. Selon ce fin connaisseur de l’Asie (longtemps correspondant de Time à Pékin), le mâle occidental a une prédilection particulière « pour les femmes asiatiques, sans hanches ni fesses, dont les seins ressemblent plus à des prunes qu’à des melons ». Mais aussi pour les beautés d’Arabie, d’Afghanistan ou de Somalie qui, toutes, entrent dans sa définition très large de la « femme orientale ». L’amour de l’exotisme ne date pas d’aujourd’hui : Marco Polo célèbre déjà les petites servantes parfumées des bains de Hangzhou ; Flaubert n’a pas assez de mots pour dire les sortilèges nocturnes des courtisanes d’Égypte ; et Richard Burton – fameux explorateur anglais du XIXe siècle, à qui l’on doit les premières traductions non expurgées du Kâma-sûtra et des Mille et Une Nuits – se trouble au souvenir d’Éthiopiennes capables de propulser les hommes au septième ciel « non en bougeant ou se tortillant », mais par d’habiles succions de leurs parois vaginales exceptionnellement musclées… Bref, le sexe lointain « a sa propre mystique », constate Colin Thubron dans la New York Review of Books. Mais il a aussi des relents de harem, d’esclavage et de prostitution, qui font de ce sujet un terrain « miné par une foule de considérations dérangeantes sur la race, le pouvoir, la sexualité, le genre et l’histoire », écrit Laura Miller sur le site Salon. Bernstein en traite, dit-elle, « avec une subtilité qu’étaye une érudition impeccable », mais son propos n’est pas entièrement clair. Il prend parfois des tournures apologétiques qui ont mis le feu aux poudres – un critique de Slate allant jusqu’à dénoncer « l’odeur de testostérone et de vieux sperme qui imprègne les pages du livre ».  

La conquête de la femme orientale

Prenant le contre-pied des théories d’Edward Said sur la construction par les Occidentaux d’un Orient imaginaire, Bernstein pense que la « vision érotisée de l’Orient contient un fond substantiel de vérité » ; qu’au cours de l’histoire les hommes occidentaux ont eu – et conservent par endroits – « un avantage dans la conquête des Orientales ». Cela tiendrait au fait que les femmes d’Asie, d’Afrique et du monde arabe ont pu, dans certains cas, « développer avec eux des relations moins marquées par le patriarcat qu’avec leurs compatriotes », explique Miller. En contrepartie de quoi les hommes blancs jouissaient de mille plaisirs inimaginables dans le contexte de « morale sexuellement répressive » de l’Occident chrétien – à mille lieues de ces cultures orientales où l’on « dissociait le sexe aussi bien de l’amour que du péché », souligne Thubron. Vu sous cet angle, chacun, hommes colons et femmes autochtones, pouvait trouver intérêt à s’unir. Le problème, écrit Miller, c’est qu’« il n’y eut jamais vraiment un moment de l’histoire où cet échange put fonctionner ». En tout cas pas suivant la logique « gagnant-gagnante » de Bernstein. D’abord parce que, jusqu’aux grandes révolutions féministes, les hommes européens (ou américains) « ne traitaient pas mieux les femmes que ne le faisaient leurs homologues asiatiques » ou autres ; ensuite parce que, dans les « cultures de harem » chères à l’auteur – qui décrit ainsi des sociétés autorisant la polygamie, le concubinage et la prostitution –, « les femmes vivaient comme des esclaves et n’avaient aucunement droit de décider de leur vie, encore moins de leurs pratiques et de leurs partenaires sexuels ». Bernstein n’ignore rien de tout cela, mais, regrette Miller, « il demande constamment au lecteur de mettre de côté ses objections concernant l’impuissance absolue des actrices de cette prétendue libération, afin de mesurer à quel point elle dut être émancipatrice pour les hommes ».
LE LIVRE
LE LIVRE

L’Orient, l’Occident, et le sexe de Richard Bernstein, Knopf

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