Auguste Comte, roi de l’image

« Positivisme de merde ! » Dans une lettre de juillet 1866 à son ami Engels, Karl Marx ne cache pas son agacement à l’encontre de la doctrine d’Auguste Comte. On a du mal à le croire, mais le père de l’idéologie communiste se sentait alors sérieusement menacé. « C’est que le positivisme, aussi, voulait être révolutionnaire et mobiliser les masses ; lui aussi appelait à l’union des philosophes et des prolétaires ; lui aussi se concevait en programme scientifique de marche vers le progrès », explique Ralf Konersmann dans la Süddeutsche Zeitung.

Enfant prodige, reçu à l’École polytechnique à l’âge de 16 ans, Auguste Comte proposait une philosophie de l’histoire dans laquelle était annoncé l’avènement de l’« âge positif », fondé sur la science et le pragmatisme. Mais, une tentative de suicide et une déception amoureuse plus tard, sa doctrine prit une inflexion nettement plus mystique : Comte se mua en gourou d’une nouvelle religion, celle de l’Humanité. Il rêvait de prêcher un jour depuis la chaire de Notre-Dame et, une fois que l’islam aurait adopté ses principes, de faire de Constantinople la nouvelle capitale d’un système républicain universel. Sa doctrine eut un retentissement immense, difficilement imaginable aujourd’hui qu’elle est tombée dans un profond discrédit. En 1889, par exemple, la toute nouvelle république brésilienne prit pour devise le mot d’ordre positiviste « Ordre et Progrès »…

Pour le sociologue allemand Wolf Lepenies, qui vient de publier une biographie d’Auguste Comte, la clé de ce succès mondial réside dans un art consommé de la propagande par l’image. Comte avait compris que, pour se répandre, le positivisme devait devenir « esthétique ». Il confia donc à des peintres et à des sculpteurs la tâche d’incarner son message dans la pierre ou sur la toile, si possible en le mettant en scène lui…

L’un de ses propagandistes les plus efficaces fut le sculpteur Antoine Etex (à qui l’on doit notamment un buste du maître, toujours entreposé dans la chapelle de l’Humanité, à Paris). « Etex s’accordait avec Comte pour penser que la langue des images ne servait pas seulement à populariser la théorie positiviste, mais offrait aussi des possibilités d’expression susceptibles de l’inspirer, écrit Konersmann. Elle faisait voler en éclats toutes les barrières sociales et nationales. Celui qui dessine, estimait Etex, “écrit dans toutes les langues”. » Mais, poursuit le critique, « en “vulgarisant” sa doctrine, Comte ne vit pas le danger d’une terrible simplification ». Le prix à payer fut la perte de sa réputation scientifique.


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Auguste Comte. Le pouvoir des signes de Auguste Comte, roi de l’image, Carl Hanser

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