Putain d’actrice !

Sans date de naissance avérée, père inconnu, mère courtisane. Laquelle offrit la jeune adolescente aux messieurs qu’elle fréquentait. Petite, filiforme, Sarah en contracta l’impossibilité d’éprouver l’orgasme (elle se décrivait comme une « personne incomplète »). Mais son désir de sexe était insatiable. Pendant la première partie de sa vie, elle coucha régulièrement avec ses partenaires, dans les vestiaires du théâtre.

Sans date de naissance avérée, père inconnu, mère courtisane. Laquelle offrit la jeune adolescente aux messieurs qu’elle fréquentait. Petite, filiforme, Sarah en contracta l’impossibilité d’éprouver l’orgasme (elle se décrivait comme une « personne incomplète »). Mais son désir de sexe était insatiable. Pendant la première partie de sa vie, elle coucha régulièrement avec ses partenaires, dans les vestiaires du théâtre. Après un bref premier passage à la Comédie-Française, elle avait aussi repris le métier de sa mère, ce qui lui permit d’acheter un luxueux appartement rue Duphot, près de la Madeleine. Elle poursuivit longtemps cette activité lucrative en marge de sa carrière, attirant chez elle des personnalités en vue. Elle eut aussi de brèves rencontres avec des géants de son époque, tel Victor Hugo. Placée enfant dans une école religieuse, admise au Conservatoire grâce au duc de Morny, client de sa mère, elle avait rejoint la Comédie-Française à l’âge de 16 ans. Elle s’y fit remarquer par son absence de talent et en fut expulsée pour avoir giflé une actrice qui avait maltraité sa petite sœur venue lui rendre visite. Ensuite, elle joua de petits rôles sur le boulevard et en privé, puis fut recrutée à l’Odéon, où elle devint presque immédiatement une star. Pendant la guerre de 1870, elle transforma le théâtre en hôpital. Et fut reprise par la Comédie-Française, connaissant bientôt une gloire internationale. En 1899, elle acquit son propre établissement, l’actuel Théâtre de la Ville. Sarah Bernhardt fit pleurer les salles dans le monde entier, jusqu’au Chili et en Russie – même quand le public ne comprenait pas un traître mot de français. Elle s’habillait de façon extravagante – l’un de ses chapeaux était surmonté d’une chauve-souris empaillée. Le personnage n’en finit pas d’attirer les biographes. Le livre de Robert Gottlieb, auteur d’un remarqué « Balanchine », est le deuxième paru en cinq ans chez Yale. Plusieurs biographies n’ont pas été traduites en français. Graham Robb, grand spécialiste du XIXe siècle français, fait un compte rendu ébloui de celle de Gottlieb dans la New York Review of Books. Mais, curieusement, la vie de Sarah Bernhardt lui paraît « moins intéressante pour un biographe que ne le laissent supposer ses spectaculaires performances d’actrice ». Elle était capable de simuler la cécité en ne montrant que le blanc des yeux pendant une demi-heure. Pour évoquer l’obsession sexuelle de Phèdre, elle faisait remonter ses mains de l’intérieur de ses cuisses. Il semble tout de même « intéressant », pour le moins, de comprendre comment la petite prostituée est devenue non seulement l’actrice, mais la directrice de théâtre qu’elle est devenue. Si elle avait le « génie de la réclame », comme le nota Henry James en la voyant jouer à Londres, elle était aussi une professionnelle implacable, travaillant et faisant travailler chaque mot, chaque voyelle, inventant et peaufinant les costumes, démolissant et recréant les décors, dirigeant les éclairagistes… Rarement aussi un acteur n’a à ce point consciemment incarné le paradoxe du comédien. Elle l’a dit, redit et écrit, « l’artiste doit laisser sa personnalité au vestiaire, dénuder son âme de ses propres sensations […] perdre son ego quand il est sur scène ». Robb ajoute un détail peu connu : quand elle acquit son propre théâtre, elle supprima le souffleur. À sa mort, près d’un demi-million de personnes se rassemblèrent dans les rues de Paris.
LE LIVRE
LE LIVRE

Sarah. La vie de Sarah Bernhardt de Putain d’actrice !, Yale University Press

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